Retour sur l’île
principale pour nos deux derniers jours aux Seychelles.
J’ai lu
durant ce séjour Aden Arabie de Paul
Nizan, drôle de choix hein, si vous ne connaissez pas ce livre, vous avez au
moins déjà vu son incipit « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne
dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Nizan interrompit ses
brillantes études pour partir à Aden dans les années 20 mais c’est plutôt un
récit d’antivoyage et surtout un récit anticolonialiste. Nizan était un jeune
homme en colère dont certains propos, quatre-vingt ans plus tard semblent d’une
troublante actualité en ces temps de crise, « [La France] gémit sur sa
pauvreté, sur sa dignité, sur sa mission spirituelle et la petitesse de ses
bénéfices et la grosseur de sa bonne volonté. Car elle est menée par des
marchands hypocrites qui cachent les profits des bilans et pleurent sur la
dureté des temps. » Nizan va briser le moule de sa bonne éducation, renier
sa classe et ses maitres et devenir un grand cadre du Parti Communiste avant de
le quitter avec fracas en 1939, il finira tragiquement sous l’uniforme, tué
dans la débâcle militaire de 1940 à Dunkerque. Jean-Paul Sartre et lui furent camarades
au lycée et à Normale Sup, il préfacera la réédition de 1960 et j’aime sa
description de leurs années de Normaliens à Paris où ils partageaient la même
thurne ; toutes proportions gardées je repense à mes vingt ans dans Paris
avec Appollo, j’étais bidasse et je n’avais même pas mon bac, Appollo était
étudiant à La Sorbonne, c’était plus classe. Nous avions vingt ans, nous étions
à la Capitale, loin de notre petit caillou de l’Océan Indien et nous rêvions la
vie, nous la rêvons toujours, je crois, même si c’est avec moins d’innocence et
de cheveux qu’à l’époque.
Qui sait que
les Seychelles ont été un état « socialiste » à l’époque de ce qu’on
appelait la Guerre Froide au siècle dernier, bon sang, j’ai l’impression d’être
un fossile de l’Histoire en parlant de cela, mais oui, j’ai vu Berlin coupée
par le Mur de la Honte et Checkpoint Charlie avec de l’autre coté ces soldats
soviètiques ou est-allemands dans leurs pesants uniformes. Les Seychelles ont
vécu le marxisme triomphant avec un parti unique qui s’est imposé après un coup
d’état pacifique en 1977, finalement c’était un Cuba qui aurait plutôt réussi
avec du travail, la santé, un logement et l’éducation pour tous, et tout cela en
partie payé par les riches touristes capitalistes, bien joué. Bon, il ne
fallait probablement pas trop exercer son esprit critique à l’époque, avec une
presse totalement muselée et les propriétaires ou opposants exilés n’ont sans
doute pas vraiment apprécié les charmes de ce paradis socialiste. Il y eut tout
de même une tentative de putsch par des mercenaires sud-africains qui échoua, une
mutinerie militaire écrasée avec l’aide de soldats du « pays frère »
tanzanien et des opposants en exil assassinés. Comme presque partout dans le
monde, après la chute de l’URSS, la Constitution fut changée en 1993 et le
parti au pouvoir changea de nom et se convertit au multipartisme, avec bonheur
puisqu’il a, à chaque élection, conservé le pouvoir démocratiquement.
Après le
quart d’heure Oncle Paul, retour aux cartes postales.Tous les mercredis soirs
sur la plage de Beau Vallon se tient le Bazar Labrin où on trouve des étals de
nourriture et d’artisanat, comme à La Réunion il y a des samoussas et des bonbons piment (qu'ils appellent gâteaux piment), je trouve enfin du kalou, le vin de palme tiré du
cocotier et comme tous les alcools artisanaux à fermentation rapide que j’ai
goutés, il a une légère odeur de vomi, juste un verre merci, bon, ça c’est fait ;
tu es sûre que tu veux pas gouter Pascale ?
Nous n’avons presque pas
eu de pluie à part quelques grains soudains et brefs, mais vu l’exubérance de
la végétation dans toute cette rocaille je pense qu’on a eu de la chance. Au
Nord ouest après Port Launay, une route très étroite et peu empruntée,
heureusement, longe et surplombe d’idylliques petites plages désertes.
On retourne se
baigner à Baie Lazare, accessible elle aussi par une minuscule route sur
laquelle se trouve le Maria’s Rock Cafeteria (et l’atelier du sculpteur A.
Filippin) avec sa déco pirate, sa terrasse intégrée à un gros rocher, ses
morceaux de poisson que vous faites grésiller sur une plaque chauffée et ses merveilleuses
crêpes.
« Il n’y
a qu’une espèce valide de voyages, qui est la marche vers les hommes. C’est le
voyage d’Ulysse, comme j’aurais dû savoir, si je n’avais pas fait mes humanités
pour rien. Et il se termine naturellement par le retour. Tout le prix du voyage
est dans son dernier jour. » Paul Nizan, Aden Arabie
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